19 octobre, 2007

Les vrais-faux changements du nouveau traité européen

Prenez le corps sans vie d'une Constitution. Découpez-le et répartissez-en les éléments entre le traité de Rome (1957) et le traité de Maastricht sur l'Union européenne (1992), déjà modifié par le traité d'Amsterdam (1996) et celui de Nice (2000). Faites subrepticement disparaître la partie III, dont l'essentiel figurait dans les traités précédents. Renvoyez la Charte des droits fondamentaux (ex-partie II) en annexe et remplacez-la par un article unique (l'article 6) qui affirme son caractère contraignant. Veillez à ne surtout pas qualifier le tout de « traité simplifié », car on peut difficilement faire plus confus : 145 pages, 296 modifications, 12 protocoles, 51 déclarations. Tous ceux qui reprochaient à la Constitution sa complexité ne seront pas déçus. De ce maquis juridique indigeste émergent cependant de réels changements. Mais ni rupture ni saut fédéraliste dans ce texte qui traduit plutôt l'immense désarroi des gouvernements et des opinions publiques vis-à-vis d'une Europe qui n'a pas su convaincre de son utilité.

· Les principales modifications institutionnelles

1) Le Conseil européen se dote d'une présidence stable : la présidence « tournante » de l'Union européenne, qui impose actuellement une rotation tous les six mois, sera remplacée par un président élu par les dirigeants des Etats membres pour deux ans et demi, renouvelable une fois. Cette réforme est censée donner plus de visibilité aux vingt-sept gouvernements et assurer une plus grande continuité à l'action européenne.

2) Un haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité est créé, les Vingt-Sept ayant dû renoncer à l'intitulé, jugé trop ambitieux par certains, de ministre. Mais, comme prévu dans la Constitution, il dirigera le Conseil des ministres des Affaires étrangères et sera vice-président de la Commission. Il disposera d'un service diplomatique propre et de l'ensemble des fonds européens destinés à l'action extérieure.

3) La taille de la Commission est réduite : l'exécutif communautaire, qui ne cesse d'enfler au rythme des nouvelles adhésions, verra sa taille réduite à compter de 2014. Le nombre des commissaires (27 aujourd'hui) sera alors réduit aux deux tiers du nombre d'Etats membres, et les pays y seront représentés chacun à leur tour. Ce qui signifie que la France - comme l'Allemagne d'ailleurs - pourrait ne pas y siéger.

4) Le nombre de parlementaires européens est limité : le traité fixe à 750 (au lieu de 785 depuis le 1er janvier 2007) le nombre des eurodéputés. La représentation de chaque pays se fera désormais sur la base d'un système proportionnel avec un maximum de sièges par pays de 96 et un minimum de 6. Selon ces calculs, rejetés toutefois par l'Italie, l'Allemagne dispose du nombre maximum de sièges, tandis que la France, qui a renoncé à la parité avec elle depuis le traité de Nice, passe à 74, et les Britanniques à 73.

· Les changements dans le fonctionnement de l'Union

1) Les règles du vote au Conseil sont toujours aussi complexes. A force de compromis entre « grands » et « petits » Etats, et surtout pour satisfaire la Pologne, le système de vote lors des Conseils des ministres est complexe. Le traité de Nice continuera à s'appliquer jusqu'en novembre 2014, date à laquelle s'imposera la règle de la double majorité (au moins 55 % des Etats membres représentant 65 % de la population de l'Union). Toutefois, de 2014 à 2017, un Etat membre pourra toujours exiger l'application du système de Nice. Enfin, jusqu'en 2017, en cas de mise en minorité d'un groupe d'Etats, celui-ci peut demander l'application du « compromis d'Ioanina », qui lui permet de geler la décision majoritaire pour permettre de prolonger le débat. Cette protection pour les petits Etats sera renforcée après 2017.

2) Le champ d'application de la majorité est élargi. Quarante domaines passent à la majorité, comme la coopération judiciaire et policière, l'immigration légale, l'éducation. L'unanimité reste la règle pour la politique étrangère, la politique sociale, la fiscalité. En outre, une base juridique est créée pour faciliter la mise en oeuvre d'une politique européenne de l'énergie.

3) Les coopérations renforcées sont facilitées : il faut être neuf Etats au minimum pour en composer, et elles pourront concerner les domaines judiciaire et policier. La création d'un parquet européen devient possible.

4) L'Eurogroupe est reconnu... même s'il reste une instance informelle. En outre, les décisions qui concernent ses membres (13 actuellement) pourront être prises à treize et non plus à vingt-sept comme aujourd'hui.

· Les sept différences avec la Constitution

1) Les symboles ont disparu. Tout ce qui figurait l'ambition de l'Union et son unité a été supprimé : les références au drapeau, à l'hymne, à la monnaie commune ont été purement et simplement balayées du texte.

2) La primauté du droit européen a disparu. Pour rassurer les eurosceptiques, la clause affirmant la suprématie du droit européen sur le droit national, pourtant réaffirmé depuis 1963, sera remplacée par une discrète déclaration (en annexe) faisant état des principes établis en ce domaine par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Ce qui revient au même sur le fond.

3) Le préambule contient finalement une référence aux « héritages religieux » qui avait été refusée par Valéry Giscard d'Estaing au nom de la laïcité de l'Europe.Maisles Polonais, les Italiens et.. la chancelière Angela Merkel y tenaient beaucoup.

4) La concurrence « libre et non faussée » n'est plus un objectif de l'Union. C'est le président français, Nicolas Sarkozy, qui a obtenu ce retrait, qui reste cosmétique puisque, à la demande des Britanniques, ce principe est réintégré dans les mêmes termes dans le protocole 6, annexé au traité.

5) La garantie des services publics est affirmée : l'article 14 du nouveau traité évoque la nécessité pour l'Union européenne et ses Etats membres d'assurer les conditions économiques et financières permettant aux services publics économiques d'assurer leurs missions... sous réserve, notent les plus attachés aux services publics à la française, que cela ne gêne pas la concurrence.

6) Une référence à la « protection » des citoyens est introduite dans les objectifs de l'Union. A la demande de la France, l'article 3 évoque « le développement durable de l'Europe (...) fondé sur un niveau élevé de protection ».

7) La solidarité énergétique devra s'appliquer, si un Etat membre rencontre de graves difficultés d'approvisionnement.

Les Echos 18 octobre 2007

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