La crise des prêts immobiliers à risque aux États-Unis a précipité depuis un mois une tourmente boursière et financière irrationnelle. Pour Patrick Artus, elle est loin d'être terminée et débouchera sur un ralentissement sensible de l'économie américaine. Quelle que soit la réaction des banques centrales, la question de l'absence de gestion globale des politiques monétaires est posée. Patrick Artus est directeur de la recherche et des études chez Natixis.
L'évolution des crédits aux ménages et du prix des maisons aux Etats-Unis
Quelle est la spécificité de la crise financière actuelle des subprimes par rapport aux grandes crises précédentes (1987, caisses d'épargne américaines, crise asiatique, LTCM, bulle Internet...) ?
Les crises financières s'enchaînent. Depuis quinze ans, il y en a tous les quatre ans parce que les banques centrales sortent de la crise par une politique monétaire excessivement expansionniste qui produit une nouvelle bulle. Voyez le dégonflement de la bulle Internet en 2000-2001 : elle a débouché sur la bulle immobilière qui est à l'origine de la crise actuelle. Ce qui fait la spécificité de cette dernière, c'est que le choc initial est cette fois beaucoup plus petit. Les pertes cumulées sur le secteur immobilier à risque aux États-Unis - qui correspondent à l'augmentation de 10 % à 14 % des défauts de paiement - sont actuellement de 30 milliards de dollars. En 1998, le fonds LTCM avait coulé 110 milliards. Le dégonflement de la bulle Internet s'est traduit par une perte de capitalisation boursière de 6.000 milliards entre 2001 et 2003 ! Ce que l'on peut comprendre lorsque sur le Nasdaq, en 2000, on payait les boîtes à 100 fois le résultat. Mais, aujourd'hui, une perte initiale de 30 milliards a produit depuis juin une baisse de 4.500 milliards de dollars de la capitalisation boursière, 2.000 milliards de pertes sur les dérivés sans compter les 5.000 milliards de dollars de titres ABS (adossés sur des créances) qui n'ont plus d'acheteurs. Rendez-vous compte ! un choc de 30 milliards engendre 7.000 à 8.000 milliards de pertes potentielles de valeur de marché. Ce qui veut dire que la crise touche essentiellement des actifs irréprochables. C'est ça qui est nouveau et qui explique que l'on ne l'a pas vu venir. Mais quelle est la nature exacte et la gravité de cette crise. Est-ce une crise de liquidité ?
Les liquidités mondiales sont surabondantes. Les banques croulent sous la liquidité mais refusent de la prêter tandis que les investisseurs ne veulent pas investir. En fait il n'y a plus d'acheteurs pour les actifs à risque. L'origine de la crise est simple. Le crédit subprime le plus populaire, c'est le " 2-28 ". Vous empruntez sur trente ans mais vous bénéficiez pendant les deux premières années de taux très bas avant de payer le taux du marché. Jusqu'à l'an dernier, les taux de marché étaient plutôt bas mais, surtout, l'immobilier était booming. Beaucoup de gens achetaient leur maison et la revendaient avec une bonne plus-value au bout de deux ans, pour reprendre éventuellement un autre subprime. Maintenant, c'est fini, les prix baissent, on ne peut plus rien vendre et, en plus, les taux d'intérêt sont plus élevés. D'où la multiplication des défauts. On sait qu'il y aura d'autres pertes sur le subprime. On a perdu 30 milliards mais on va perdre plus, 45, 60, je ne sais pas, car les valeurs liquidatives auront chuté. Et la banque X ne va pas prêter à la banque Y car elle soupçonne celle-ci d'avoir du subprime. Donc la crise n'est pas finie du tout. Le pire de la crise est vraiment devant nous. D'autant que la contagion a été accélérée par le fait que de nombreux hedge funds avaient investi dans des actifs liés à l'immobilier. L'effet de levier fait que la perte sur la valeur liquidative est plus forte que la perte qu'ils font sur les actifs. Du coup, les banques demandent des dépôts de garantie et, comme les hedges ont besoin de liquidité, ils vendent d'autres actifs. C'est ce qui transporte la crise d'un actif à un autre et qui fabrique la contagion. Cette réalité n'est pas nouvelle...
C'est l'application des thèses d'Alan Greenspan [l'ancien président de la Fed, Ndlr] préconisant aux banques de revendre - via la titrisation - leurs risques sur le marché afin de prévenir une crise systémique. Mais c'est une logique d'assurance à l'envers : ce sont les moins fragiles qui revendent leurs risques aux plus fragiles. Si les banques américaines et européennes avaient gardé tout le subprime dans leurs livres, elles auraient fait aujourd'hui 26 ou 30 milliards de dollars de perte et on en parlerait à peine. Leurs profits ont atteint en 2006 300 milliards de dollars. Elles auraient donc essuyé une perte de 10 %, ce qui n'est pas un grand drame, et il n'y aurait pas eu de crise de marché. C'est bien parce que les banques ont repassé ces risques à des gens plus fragiles que la crise s'est développée.
Quel va être l'impact de ces turbulences sur l'économie réelle ?
Le vrai risque de transmission à l'économie réelle, c'est le credit-crunch, que l'on arrête de prêter. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Mais ce que l'on constate, c'est que les ménages américains ont du mal à s'endetter du fait de la chute du marché immobilier. Il faut savoir qu'aux États-Unis il y a quatre millions de logements invendus, soit trois années de stock. Évidemment les prix chutent (- 4 % sur un an du prix des maisons). Comme un prêt immobilier finance souvent à 80 % de la consommation aux États-Unis, c'est toute la demande des ménages qui est touchée. La consommation américaine va donc fléchir et amputer d'un point à un point et demi la croissance l'an prochain qui, au lieu d'atteindre 3,5 %, pourrait ne pas dépasser 2 %. Ce n'est guère bon pour l'Europe qui, par ailleurs, est directement affectée par la crise via ses banques...
Il n'y aura qu'un petit ralentissement en Europe imputable à la crise des subprimes. Quant aux banques, il s'agit essentiellement des banques allemandes, qui annoncent de grosses pertes. Pour une raison simple : comme le marché de l'immobilier est plat outre-Rhin et que, depuis des années, les crédits aux ménages y sont quasi nuls, les banques allemandes, pour faire du business, sont obligées d'aller acheter des crédits ailleurs, en particulier aux États-Unis. Comme elles y sont beaucoup allées en 2006, elles ont récupéré beaucoup de subprime. Mais les établissements qui connaissent des difficultés sont en général régionaux et seront renfloués par des fonds publics. L'économie américaine tire aussi l'Asie et notamment la Chine. Le géant d'Asie va souffrir ?
Faites un rapide calcul. Europe et États-Unis représentent 40 % des exportations de la Chine. Comme les exportations contribuent à 40 % du PIB chinois, cela fait 16 % du PIB de la Chine qui dépend des ventes aux États-Unis et en Europe. Bon, si la croissance américaine et européenne diminue d'un point, on considère que cela se traduit par une baisse de 2,5 % des importations de ces deux blocs. Donc la Chine risque de perdre 2,5 % de 16 % de son PIB, soit 0,4 %. Bref, au lieu de faire 12 % de croissance, la Chine ne ferait que 11,6 % On tremble... Jugez-vous adéquate la stratégie des banques centrales pour contenir cette crise et qu'attendez-vous d'elles ?
Je vous l'ai dit au début. Si la Fed ne se contente pas d'injecter des liquidités mais baisse agressivement ses taux comme Greenspan l'avait fait après le 11 septembre 2001, je pense que l'on va sauver la situation pour deux ou trois ans tout en refabriquant la crise suivante. Prêter de la liquidité au marché, c'est ce qu'il fallait faire et, à cet égard, je suis presque étonné de la réactivité de la BCE. Mais les banques commerciales vont se remettre à prêter. La question est : les banques centrales vont-elles continuer à injecter de la liquidité ou baisser les taux ? Aux États-Unis, ils vont baisser les taux parce que leur priorité est de faire repartir l'économie américaine. Ce faisant, ils vont recréer une bulle d'endettement. Pour qui la prochaine bulle ? peut-être les émergents... Quant à la BCE, elle essaie de faire mieux que cela, consciente qu'il y a un excès de liquidité en circulation. Le problème, à la BCE, c'est qu'ils justifient leur politique restrictive par un risque inflationniste qui n'existe pas. Ils feraient mieux de nous dire : " Ne soyons pas laxistes car il y a trop de liquidité en circulation. " Mais il y a un autre problème pour la BCE : l'excès de liquidité trouve son origine dans les banques centrales d'Asie et du Moyen-Orient qui viennent recycler en Europe leurs excédents. Chaque année, les banques centrales émergentes achètent des obligations européennes représentant trois fois les déficits publics cumulés de la zone euro ! Mais alors, cela ne sert à rien de monter les taux en Europe...
En réalité, si l'on veut avoir un contrôle efficace des liquidités mondiales, il faut une coordination internationale des politiques monétaires. C'est également de l'intérêt des émergents. Regardez les Chinois : ils ont besoin d'inventer tous les jours quelque chose pour essayer de réduire l'excès de liquidités, la hausse trop forte de la Bourse, la hausse trop forte des crédits immobiliers. Le problème de liquidité est partout. C'est un problème commun à tous les pays. On connaît la solution : il faudrait que les pays à excédents dépensent plus. On ne comprend pas bien pourquoi la Russie, l'Arabie Saoudite, la Chine ne dépensent pas plus sur la santé, l'éducation, tandis que les pays à déficit comme les États-Unis devraient épargner plus. Donc on ne peut plus penser les politiques monétaires sur une base nationale. C'est l'objet de mon livre qui sort en septembre (1). Juste un exemple : pas loin de la moitié des crédits hypothécaires en Angleterre sont faits en yens. Vous pouvez augmenter les taux de la Banque d'Angleterre tant que vous voulez, les gens s'endettent en yens... Concrètement, que doit faire la BCE lors de son conseil du 6 septembre ?
Si j'étais Trichet, je ne monterais pas les taux - même si fondamentalement il faut éviter la bulle suivante - parce que ce n'est pas la peine de faire replonger les marchés et repartir l'euro à la hausse. Je maintiendrais le message qu'en cas de difficulté des banques j'interviens rapidement sur le marché. Enfin, j'expliquerais que mon devoir est de stabiliser les taux d'endettement parce que l'on ne veut pas voir se reproduire en Europe ce qui s'est produit aux États-Unis. Bref, je ferais passer le message que l'on montera les taux une fois que la crise financière sera terminée. Quel est ou quel va être l'impact des subprimes sur les flux mondiaux de capitaux ? On voit déjà des capitaux revenir au Japon...
Parce que le carry trade [Ndlr : emprunt d'actifs à bas rendement réinvestis dans des produits plus rémunérateurs] est stoppé et que les ménages japonais investis à l'étranger dans des fonds monétaires dynamiques se sont désengagés. D'où l'appréciation du yen. Mais c'est momentané. N'imaginez pas Madame Watanabe replacer son argent à la Banque postale pour 0,1 % d'intérêt ! De toute façon, il faut bien que les excédents japonais s'exportent. Si les ménages ne le font plus, c'est la Banque du Japon qui prendra le relais. Cela ne changera rien aux flux de capitaux. Il faudra toujours qu'un pays excédentaire prête ses excédents à un pays déficitaire qui doit emprunter son déficit.
(1) " Les Incendiaires : les banques centrales dépassées par la globalisation ", éditions Perrin (sortie le 6 septembre).
La Tribune 27/8/2007
29 août, 2007
Patrick Artus : " Le pire de la crise financière est devant nous "
à 9:42 PM
Libellés : Entreprises et finances
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