17 juin, 2007

Pour ou contre la TVA "sociale", le point de vue de deux économistes

CONTRE : Liêm Hoang-Ngoc, économiste au CNRS

La question fondamentale en matière de fiscalité est : qui paie ? En raison du poids des impôts proportionnels (TVA, CSG…), le système fiscal français est déjà des plus injustes. La TVA représente aujourd'hui 51 % des recettes fiscales contre 17 % pour l'impôt sur le revenu. Les pauvres la paient au premier centime d'euro dépensé pour leur pain quotidien. Les 10 % des ménages les plus pauvres concèdent 8 % de leur revenu au paiement de la TVA. Les 10 % des ménages les plus riches ne lui consacrent que 3 % de leur revenu. La hausse de la TVA rendra l'impôt encore plus injuste en reportant sur les pauvres une part croissante du financement du budget.

Malgré la baisse des charges prévue, ni les grandes entreprises, sommées par leurs actionnaires de maximiser leurs marges, ni les PME, étranglées par leurs donneuses d'ordre, ne vont baisser leurs prix. Demander à un restaurateur s'il baissera ses prix si on lui accordait la baisse de TVA qu'il demande de 19,6 % à 5,5 %, il vous répondra non. Croyez-vous qu'il les baissera si on l'augmente à 22 ou 25 % ?

Les baisses de cotisations sociales qui se sont déployées depuis 1993 n'ont aucunement enrayé la "vie chère". Avec une telle mesure, les prix augmenteront et provoqueront une détérioration du pouvoir d'achat des ménages, ce qui cassera la consommation, actuellement le seul moteur de la croissance. La hausse de la TVA allemande a déjà relancé l'inflation de 0,5 point au premier trimestre et risque de freiner la consommation intérieure. En apparence, la stratégie allemande est gagnante sur le terrain commercial parce que les industries d'outre-Rhin sont spécialisées sur des créneaux "hors coût" qui leur garantissaient déjà des débouchés mondiaux. La réforme fiscale permet surtout aux actionnaires allemands de bénéficier de dividendes en hausse…

La BCE, dont l'œil est rivé sur l'indice des prix, risquerait de relever une fois de plus ses taux d'intérêt. La croissance ralentie amenuiserait les recettes fiscales, déjà entamées par les baisses d'impôts directs. Les déficits se creuseraient, justifiant de nouvelles restrictions budgétaires en matière de redistribution. Un cercle vicieux s'instaurerait et les inégalités se creuseraient.

Si tous les pays européens s'engageaient dans cette stratégie de "désinflation compétitive", le jeu serait à somme nulle. Aucun gain de parts de marché de part et d'autre, mais un marasme économique généralisé qui condamnerait une fois de plus le projet européen auprès des peuples. Des effets positifs sur l'emploi ? On estime à 200 000 le nombre de créations nettes d'emplois occasionné par ces politiques de baisse de cotisations salariales depuis une quinzaine d'années, chiffre qui reste très limité.

Liêm Hoang-Ngoc, maître de conférences à Paris I et chercheur au centre Panthéon-Sorbonne Economie, rattaché au CNRS

POUR : Christian Saint-Etienne, membre du Conseil d'analyse économique

"Le principe de la TVA sociale consiste à transférer des charges patronales supportées par les salaires vers une autre source de fiscalité : la CSG ou la TVA, à budget constant. Il ne s'agit pas d'augmenter la TVA pour payer de nouvelles dépenses de l'Etat ou pour compenser les baisses d'impôts décidées par le gouvernement mais de financer la protection sociale collective.

La TVA sociale est bénéfique si et seulement si elle est appliquée dans un contexte très précis. Pour cela, il convient au préalable de distinguer la protection sociale individuelle de la protection sociale collective (politique de la famille et de la santé).

La protection sociale individuelle dépend des revenus de l'individu. Plus vous gagnez d'argent, plus votre retraite, vos prestations chômage, et vos indemnités maladies, sont importantes. Il est justifié que ce type de protection soit financé par des cotisations sociales sur les salaires, et tel est le cas depuis 1945.

La protection sociale collective dépend, elle, de la citoyenneté. Vous résidez sur le territoire français quels que soient vos revenus, vos soins vous sont remboursés à taux fixe, idem pour les allocations famililales. Dans ce cas, il est inconcevable que ce type de prestation soit uniquement financé par des charges salariales. Il faut jouer sur les impôts que tous les résidents paient : la TVA.

La politique familiale coûte entre 23 et 25 milliards d'euros par an. Or une augmentation de 2,4 % de la TVA (de 19,6 à 22 %) rapporterait 23 milliards d'euros. Voilà pourquoi je pense que la TVA "sociale" est la solution pour financer la politique familiale.

Au sein des partisans de la TVA sociale il est important de distinguer les minimalistes (la TVA à 22 %) des maximalistes, comme le sénateur Jean Arthuis, qui vont jusqu'à proposer une TVA à 28 %. Je suis minimaliste car si l'on augmente trop la TVA, je pense que les Français iront acheter leur voiture dans un pays voisin.

Pour le moment, la cotisation assurance-famille payée par l'employeur est de 5,8 %, l'idée est de la supprimer et de la remplacer par la TVA "sociale". Le coût du travail et donc le coût de production hors taxe baisseraient de 2,4 %. Le prix final TVA incluse ne changerait pas : c'est la structure des coûts de production qui varierait. La TVA sociale serait indolore pour le consommateur. Les entreprises profiteraient alors de la baisse des coûts de production pour répercuter cette baisse sur les prix hors taxe et essayer de gagner des marchés, c'est le principe de la concurrence. C'est ce qu'a fait l'Allemagne qui a connu depuis une faible inflation additionnelle (0,3) après avoir augmenté la TVA de 3 points de pourcentage.

Il est évident que cette baisse du coût du travail serait minime et incapable de modifier les différences de coûts entre la France et la Chine mais les entreprises chinoises paieraient l'augmentation de TVA, ce qui rendrait les importations plus coûteuses. Mais nous améliorerions ainsi la compétitivité du travail français par rapport à nos partenaires de la zone euro. La TVA sociale est une arme anti-délocalisation."

Christian Saint-Etienne, du Conseil d'analyse économique du Premier ministre et membre du Cercle des économistes

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