06 juillet, 2007

La Société des Journalistes des « Echos » répond aux questions de nos lecteurs

Pourquoi vous opposez-vous à une vente éventuelle à LVMH ?

Nous ne nous opposons pas, bien sûr, à une vente des « Echos ». La véritable inquiétude porte sur la nature de notre futur propriétaire. Appartenir à un groupe industriel français risquerait de créer de facto des conflits d'intérêts. Le groupe LVMH est présent dans de nombreux secteurs d'activité : le luxe, l'agroalimentaire, la finance, la distribution ou encore l'immobilier. Bernard Arnault est l'un des tous premiers acteurs de l'économie française. Les journalistes des « Echos » sont amenés à écrire régulièrement des articles sur ses sociétés et leurs concurrentes. Si nous étions détenus par LVMH, nos lecteurs accorderaient-ils encore la même crédibilité à nos informations, nos scoops sur LVMH ou sur les entreprises rivales ? Pour nous, la vente à un groupe industriel quel qu'il soit n'est envisageable qu'à la condition d'être assortie de garanties réelles d'indépendance de la rédaction.

· Pourquoi Bernard Arnault dans un entretien avec « Le Figaro » publié hier reproche-t-il aux journalistes des « Echos » de « lui faire un procès d'intention » ?

Nous ne lui faisons pas un procès d'intention. Au cours des douze derniers mois, LVMH a été cité dans 215 articles dans « Les Echos », Bernard Arnault dans 129. Quant à PPR, le principal concurrent du groupe de Bernard Arnault en France, son nom a été mentionné à 223 reprises, et celui de son principal actionnaire, François Pinault 181 fois. Dans le passé, la Société des Journalistes de « La Tribune » - journal dont LVMH est propriétaire - a signalé à plusieurs reprises des atteintes à l'indépendance rédactionnelle (lire page 25).

Il ne s'agit donc pas d'un fantasme de la part des journalistes des « Echos ».


· Pourquoi un quotidien économique n'est-il pas une entreprise comme une autre ?


D'un point de vue financier, le Groupe Les Echos est une entreprise comme une autre avec des objectifs de rentabilité fixés par l'actionnaire. Il est d'ailleurs normalement profitable. Ce qui le différencie en revanche des autres entreprises, c'est sa mission : offrir aux lecteurs une information fiable et impartiale. En tant que premier quotidien économique français, il est un maillon essentiel de la chaîne de l'information économique et un outil de travail indispensable pour de nombreux acteurs. Les chefs d'entreprises grandes ou petites, les cadres, les syndicalistes, les hommes politiques et les acteurs des marchés financiers ont besoin d'avoir confiance dans leurs sources d'informations. C'est même une condition essentielle au bon fonctionnement de l'économie de marché. Pour offrir cette nécessaire impartialité, un quotidien économique ne peut donc appartenir à l'un des principaux acteurs de la vie économique française.

· Pourquoi « Les Echos » sont-ils aujourd'hui un quotidien indépendant sur le plan éditorial ?

« Les Echos » appartiennent depuis dix-neuf ans à un groupe d'édition britannique, Pearson, qui possède également le « Financial Times ». En dehors des « Echos », le groupe n'a aucune autre société en France. Il n'a aucun lien avec les acteurs économiques ou politiques français. Inversement, le quotidien « Les Echos » a l'occasion d'évoquer l'actualité de Pearson, une grande maison d'édition, au mieux deux à trois fois par an.

Depuis le rachat du journal en 1988, Pearson n'est jamais intervenu, d'aucune manière, dans le contenu éditorial.

· Pourquoi le groupe d'édition britannique Pearson vend-il « Les Echos » ?

Le groupe Pearson souhaite se recentrer sur des « marques globales ». En ce sens, la marque Les Echos, strictement française, n'est plus stratégique à ses yeux.

· Quand la vente des « Echos » devrait-elle intervenir ?

Le président du Groupe Les Echos, David Bell, a affirmé aux salariés du groupe le 19 juin que le futur acquéreur devra remplir trois conditions : un bon prix, des garanties d'indépendance et l'assurance du maintien de l'emploi. Au vu des propositions de LVMH sur l'indépendance éditoriale, que nous jugeons inacceptables, il nous parait inconcevable que Pearson signe le contrat de vente définitif.

· Que faut-il penser du prix offert par Bernard Arnault ?

Il est prêt à débourser 240 millions d'euros. Cela représente en effet 24 fois le bénéfice opérationnel des « Echos », un multiple inhabituel dans le secteur. A titre de comparaison, pour mettre la main sur Dow Jones, le propriétaire du « Wall Street Journal », Rupert Murdoch a proposé un prix jugé élevé représentant 18 fois le résultat opérationnel. Ce qui justifie des interrogations sur les intentions réelles de Bernard Arnault.

· Y a-t-il d'autres acquéreurs potentiels ?

Oui. De nombreux groupes français et étrangers nous ont fait part de leur intérêt pour une opération amicale, mais ils ont été exclus du processus de vente avant même l'entrée en exclusivité de LVMH. Nous le regrettons.

· Pourquoi les journalistes de la rédaction ont-ils choisi de ne pas faire paraître le journal hier ?

Cette grève a été décidée mardi après-midi, après une réunion avec David Bell, président du Groupe Les Echos, qui a présenté à la Société des journalistes puis au comité d'entreprise, les « principes clefs de l'indépendance des Echos ». Un projet élaboré conjointement par Pearson et LVMH. Ce dispositif a été jugé inefficace et inacceptable par la SDJ et le comité d'entreprise.

Il repose en effet sur la nomination par l'actionnaire lui-même de trois administrateurs dits « indépendants ». Ce n'est pas une clause d'indépendance, c'est une clause de style. A aucun moment lors de la présentation de ce document, Pearson n'a laissé entrevoir la possibilité d'amender ce texte. De surcroît, l'actionnaire britannique n'a tenu aucun compte des propositions de la SDJ, ce qui a conduit les journalistes à prendre la décision lourde de ne pas faire paraître le journal hier.

· Les politiques soutiennent-ils votre combat ?

Des hommes et des femmes de gauche comme de droite ont signé la motion de soutien à l'indépendance du journal que nous avons lancée dans nos colonnes. Les membres du gouvernement ont été sollicités. Certains nous ont manifesté leur sympathie, mais, ils sont tenus par un devoir de réserve. A ce jour, aucun ne figure parmi plus de 500 signataires. Nous avons par ailleurs été reçus par Christine Albanel, la ministre de la Culture et de la Communication, par Patrick Devedjian, le co-secrétaire général de l'UMP, Anne Hidalgo, pour le Parti socialiste, et François Bayrou. Nous attendons en revanche toujours une réponse de François Fillon, le Premier ministre, à qui nous avons envoyé une lettre lundi 2 juillet pour lui demander d'appliquer les promesses faites par Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle sur la nécessaire indépendance de la presse. Le 12 avril 2007, ce dernier déclarait : « La qualité, la diversité et l'indépendance [de la presse écrite] constituent des protections absolument déterminantes pour la liberté d'expression et la démocratie ». Il y a dix jours, le Forum des Sociétés de journalistes qui regroupe les SDJ de 27 rédactions a interpellé le président pour lui demander d'agir. Mais nous attendons toujours un signe de sa part.

· Au cours de la période récente, de nombreux problèmes d'indépendance éditoriaux se sont posés. Comment l'expliquez-vous ?

Ces problèmes reflètent l'affaiblissement économique des entreprises de presse qui sont passées sous la coupe de groupes industriels dont l'activité d'origine n'est pas la presse. Ces groupes n'ont pas toujours la culture du respect de l'indépendance éditoriale des journalistes.
· Où en sont les discussions entre la Société des journalistes et Pearson ?

Hier soir, elles étaient toujours au point mort. Nous demandons à Pearson d'ouvrir de véritables discussions avec la Société des journalistes sur les garanties d'indépendance. Nos avocats continuent d'ailleurs à travailler pour trouver une solution.

· Quel est le rôle de la SDJ ?

C'est une association de type 1901, et non un syndicat de journalistes. Elle représente près de 100 % des journalistes du Groupe Les Echos. Sa mission est de défendre par tous les moyens l'indépendance et le respect des règles déontologiques dans les différentes publications du Groupe Les Echos.

Ce genre de structure existe dans beaucoup de journaux.

LA SOCIÉTÉ DES JOURNALISTES DU GROUPE LES ECHOS

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