20 février, 2007

Le véritable enjeu fiscal des holdings

[Cet article du Temps décrit assez précisement l'évasion fiscale des grandes entreprises par le mécanisme dit de prix de transfert entre filiale, sur la fiscalité des holdings au Pays-Bas, et celle des non-résidents en Suisse]

L'ouverture des hostilités fiscales par la Commission européenne a braqué à nouveau les projecteurs sur la question des taux d'imposition très bas auxquels sont soumises certaines catégories de sociétés dans plusieurs cantons. Malgré toute l'importance que la Commission et certains Etats membres de l'UE leur attribuent, le niveau des taux n'est pas le problème le plus important en matière de fiscalité des multinationales.

Cette polémique masque une réalité beaucoup plus complexe. Un taux d'imposition, par définition, est une affaire rigide. Inscrit dans une loi votée démocratiquement, il ne peut pas être remis en question. Mais il n'est jamais que l'aboutissement de tout un calcul servant à déterminer ce qui sera soumis au fameux taux d'imposition. Plus que le taux, ce qui peut prêter à la polémique, c'est la détermination de la base fiscale.

La multinationale dispose d'un nombre élevé d'instruments d'optimisation fiscale. Elle a le choix du type d'activité qu'elle déploie dans chaque Etat. Elle sélectionne les formes juridiques et les régimes fiscaux les mieux adaptés à ses entités. Enfin, c'est elle qui détermine la valeur des biens et services produits dans chacune de ses unités.

Ces prix, que l'on qualifie de transfert, échappent aux règles usuelles du marché puisque c'est le même acteur qui fixe la quantité de l'offre, de la demande et de la valeur.

STMicroelectronics GENEVA Worldwide HeadquartersSTMicroelectronics GENEVA Worldwide Headquarters

Une multinationale a donc tout intérêt à élever les charges et à fixer une valeur basse aux biens et services produits dans un Etat à fiscalité peu favorable afin de réduire si possible à zéro le bénéfice de l'unité qui y est installée.

Le rôle des autorités fiscales consiste précisément à atténuer les effets de cette pratique. Une coordination internationale s'est même mise en place pour tenter de mettre une régulation sur pied. L'OCDE tente depuis 1995 d'édicter des lignes directrices pour forcer les multinationales à attribuer la réalité de leurs résultats à leurs filiales permanentes.

L'Union européenne a édicté un code de conduite afin d'unifier les règles dans tous ses Etats membres et éviter les doubles impositions, avec pour but avoué de pousser les entreprises à afficher des prix de transfert plus transparents. Ces bonnes intentions peinent à se traduire en textes légaux contraignants.

Toutefois, les multinationales peuvent influencer ces calculs en jouant avec les pertes cumulées des exercices précédents, qui permettent de créer des amortissements grevant les capacités bénéficiaires de telle ou telle unité. Fortement limitée par les normes IFRS, cette pratique est en outre de plus en plus réglementée par les Etats.

Une autre porte reste grande ouverte aux entreprises, c'est la fixation en début d'année fiscale d'une base de calcul permettant de fixer a priori la valeur des biens et services qui seront produits au cours de l'exercice. En vigueur aux Pays-Bas notamment, cette pratique fait appel à une négociation où l'entreprise cherchera à élever ses coûts (et donc abaisser ses bénéfices imposables), et où le fisc visera justement le contraire.

La discussion peut prendre plusieurs semaines avant que les parties se mettent d'accord sur des montants applicables le reste de l'année.

Enfin, la fiscalité suisse des entreprises pratique un calcul qui ressemble à s'y méprendre au forfait fiscal appliqué aux riches étrangers type «Johnny». Les sociétés holdings qui ne génèrent qu'une part minime de leur chiffre d'affaires en Suisse ne sont imposées que sur la valeur locative et leurs coûts d'exploitation à un taux variable selon les cantons, généralement de 5%.

Ces compromissions confirment la relative impuissance des Etats face aux grandes entreprises. Seules ces dernières disposent de la vue d'ensemble.

Une coopération internationale approfondie accorderait aux gouvernements le pouvoir de traiter les grands groupes selon les mêmes règles que les petits contribuables.

Mais, en l'état, aucun gouvernement ne semble prêt à l'abandon de souveraineté fiscale que cette coordination entraînerait. Quant à l'hypothèse de la création d'une machine fiscale globalisée, elle a de quoi faire froid dans le dos.

Le Temps, Yves Genier
Mardi 20 février 2007

Aucun commentaire: